Dans l'ancienne Egypte, il n'est pas d'événement céleste qui n'ait revêtu
de symbolique particulière. Ainsi le lever du
Soleil, son apparition à la surface de
l'horizon oriental sous la forme d'un disque
rougeoyant, ne dérogeait-il pas à la règle.
Aux yeux des anciens Egyptiens, la renaissance
quotidienne du dieu Soleil, son émergence des
eaux du Noun, cet océan d'énergie informe dont
provient toute forme d'existence, s'apparentait
à sa toute première manifestation dans le ciel
d'Egypte, en ce jour auquel le monde fut créé,
en ce premier jour qu'ils nommaient Sep Tepy.
Le Livre de Nout
Plusieurs compositions funéraires détaillent
cette symbolique entourant le lever du Soleil,
parmi lesquelles le Papyrus Carlsberg I, un
texte astronomique daté de l'an 144 de notre ère.
Cette composition constitue toutefois la copie
tardive des textes hiéroglyphiques ornant le
plafond de quelques tombes royales du Nouvel
Empire (vers 1550 - 1050 avant notre ère).
Ainsi, le cénotaphe de Séthi I à Abydos et la
tombe de Ramsès IV à Thèbes Ouest, dans la
Vallée des Rois.
La
figure ci-dessus indique la localisation des
textes relatifs au lever du Soleil sur le
plafond astronomique du cénotaphe de Séthi Ier
à Abydos. Les autres inscriptions hiéroglyphiques
se réfèrent quant à elles à sa disparition
provisoire sous le cercle de l'horizon,
accompagné de sept de ces étoiles décanales
dont la succession des culminations dans le
méridien du lieu marquait, à l'époque
considérée, le passage des heures de la nuit -
ces sept étoiles étaient situées alors à trop
grande proximité du Soleil pour être visibles
depuis la Terre d'Egypte.
Les décans égyptiens étaient ces étoiles
dont les levers héliaques successifs se
produisaient à quelques dix jours d'intervalle
tout au long de l'année "ronde"
constituée de 360 jours, mettant ainsi un terme
à leur période d'invisibilité annuelle de 70
jours. Au nombre de 36, ils appartenaient à cet
anneau décanal situé sous le cercle de l'écliptique.
C'est
l'ensemble du cycle diurne du Soleil
que retrace cette composition, aidée d'une
imagerie céleste fort développée. Ainsi la déesse
du Ciel, Nout, au corps parsemé des noms de ces
étoiles décanales constellant le ciel d'Egypte,
est-elle supportée par le dieu de l'Air, Chou,
dont les pieds reposent sur cette vaguelette
symbolisant la Terre incarnée par le dieu Geb.
Cette imagerie n'est pas sans rappeler le mythe héliopolitain
de la création du monde, tel qu'il fut exprimé
sur cette vignette funéraire datant de la Troisième
Période Intermédiaire (vers 1050 - 550 avant
notre ère).
Sur cette
vignette furent en outre dessinées, à proximité
directe de Nout, deux barques solaires. Car le
long de son corps chemine l'astre du jour en
effet, entre l'instant de sa dispartition sous
l'horizon occidental et celui de sa réapparition
à la surface de l'horizon oriental. L'orient et
l'occident sont d'ailleurs les deux directions
que matérialisent les extrémités inférieure
et supérieure du corps de la déesse du Ciel,
Nout : "Ses fesses sont à l'est, sa tête
à l'ouest", soulignent plusieurs passages
du Papyrus Carlsberg I . Cette orientation particulière vient de ce que Nout donne
quotidiennement naissance au Soleil et aux étoiles
dont les appellations hiéroglyphiques parsèment
son corps, puis les avale au moment venu - celui
de leur disparition sous le cercle de l'horizon,
en l'occurence. Disparaissant entre ses bras,
chacun des objets célestes réapparaît tour à
tour entre ses cuisses. Ainsi son entrecuisse
constitue-t-elle, en quelque sorte, la matrice
de renaissance quotidienne du Soleil et des autres astres peuplant notre
univers visible.
Plusieurs passages du Papyrus Carlsberg vont plus
loin encore, assumant que l'apparition matinale de
Rê à la surface de l'horizon oriental requiert
sa sortie préalable des eaux du Noun, cet océan
d'énergie primordial dont provient toute forme
d'existence. Le dieu Rê constitue la
manifestation visible et quotidienne du dieu créateur
Atoum, rapportent les textes anciens : tout comme
Atoum est venu à l'existence à partir des eaux
du Noun, le dieu Soleil Rê se lève hors du Noun
chaque jour après s'y être régénéré.
"Il
se lève hors du Noun, Rê", ou bien encore :
"Les eaux que sont le Noun se fendent à la
voix plaintive de sa mère Nout (quand) elle le
met au monde", rapportent quelques-uns des
Textes des Sarcophages (CT 648, 682 et 989).
"Le ciel est ouvert, la terre est ouverte,
les fenêtres du ciel sont ouvertes, les
mouvements du Noun sont révélés, les mouvements
de la lumière solaire sont mis au jour, par Celui
qui fait chaque jour", précise même l'un
des Textes des Pyramides.
La renaissance quotidienne du Soleil
Dans le texte cosmographique de la douzième heure
du Livre de la Nuit, sont d'ailleurs associés
les trois thèmes de la progression dans le Noun,
du lever comme une émergence de la Douat et
comme une sortie de la vulve de la déesse Nout :
"Sortir de la Douat, s'installer dans la barque
du jour, naviguer dans le Noun à l'heure de Rê,
Celle qui contemple la perfection de son maître.
Se transformer en Khépri, s'élever vers
l'horizon. Pénétrer dans la bouche, sortir de la
vulve. Poindre à l'ouverture de la porte de
l'horizon à l'heure, Celle qui fait apparaître
la perfection de Rê, afin d'assurer l'existence
de tout homme, petit bétail et serpent qu'il a
créés" .
Un article rédigé, voilà quelques années,
souligne que cette notion de Douat est
étroitement liée à l'aurore, à ce moment précis
auquel seule la lumière provenant du Soleil sur
le point de faire son apparition à l'horizon
oriental, est visible depuis la Terre
d'Egypte... une lumière crépusculaire que l'un
des Textes des Pyramides identifie à la fille de
Nout, la déesse du Ciel : "Le ciel est empli de
vin, Nout a donné naissance à sa fille la
lumière crépusculaire, et je me lève", déclare
le défunt solarisé. Sans doute une relation
étroite existe-t-elle donc entre la Douat et,
par extension, les eaux du Noun desquelles le
Soleil émerge au petit matin, d'une part, le
ciel crépusculaire, d'autre part.
Sur cette renaissance quotidienne du Soleil veillait une déesse
vautour nommée Nekhbet. Connue aussi sous la dénomination
de "Blanche de Nekhen", elle était
l'une de ces déesses présidant aux naissances
royales et divines.
La naissance de l'enfant divin était généralement assimilée à la
renaissance quotidienne du Soleil dans les lueurs
de l'aube. Aussi le rôle protecteur et nourricier
de la déesse vautour à l'égard de l'enfant
divin s'étendait-il vraisemblablement au Soleil
levant. De nombreux vestiges datant du Nouvel
Empire attestent de cette hypothèse, confirment
les liens unissant le Soleil levant, l'enfant
divin et la déesse Nekhbet. Tel cet objet
provenant de la tombe du jeune pharaon
Toutankhamon, sur lequel figurent deux représentations
distinctes de Nekhbet : l'une, coiffée de la
couronne blanche de Haute Egypte, l'autre, de la
couronne rouge de Basse Egypte. L'un et l'autre
valturidés aux ailes déployées encadrent, en
signe de protection, les cartouches du pharaon
Toutakhamon et du dieu scarabée Khépri poussant
le disque solaire rougeoyant en direction du ciel
que le hiéroglyphe pet, de couleur bleue, désigne.
Plus généralement, il semble que c'était en
voltigeant au-dessus de Rê le matin, toutes ailes
déployées, que cette déesse vautour participait
à la naissance du dieu Soleil, en le guidant sur
le chemin de la renaissance, donc. L'un des textes
ornant les parois du temple d'Edfou lui attribue
d'ailleurs l'épithète "guide de Rê".
C'est
sous l'aspect d'un scarabée nommé Khépri que
"le dieu Soleil vient chaque matin à
l'existence, tout comme il vint à l'existence la
Première Fois", souligne l'un des passages
du Papyrus Carlsberg. L'image de ce scarabée fut
d'ailleurs portée le long des jambes de Nout,
entre cette vaguelette matérialisant la ligne
d'horizon et la vulve de Nout. Il apparaît ici
muni d'ailes. Déjà, les Textes des Pyramides
faisaient état du caractère parfois ailé de ce
scarabée : "Je suis grimpé sur Chou, je
suis monté sur l'aile de Khépri, c'est Nout qui
tient ma main, c'est Nout qui m'ouvre le
chemin" . Bien loin d'introduire un nouveau
concept, les scribes du Nouvel Empire se contentèrent
donc de l'illustrer.
Khépri
est ce jeune Soleil émergeant à peine des eaux
primordiales... tout comme il émergea de ce
formidable réservoir d'énergie qu'est le Noun,
au premier jour de son antiquité : "Je suis
l'Eternel (le Créateur), je suis Rê qui est
sorti du Noun en ce mien nom de Khépri", déclare
le défunt solarisé, dans l'un des Textes des
Sarcophages . Khépri est donc l'aspect de Rê
renaissant au petit matin... une renaissance qui
s'apparente à la venue à l'existence du dieu créateur
Atoum, à partir des eaux du Noun. Nombreuses
d'ailleurs sont les références à l'autogenèse
de Khépri, tant au sein des Textes des Pyramides
qu'au sein des Textes des Sarcophages.
Khépri
est aussi ce scarabée poussant devant lui sa
boule d'argile... une boule d'argile dont la
couleur rougeâtre et la forme arrondie ne sont
pas sans rappeler les caractéristiques propres au
disque solaire faisant son apparition à la
surface de l'horizon oriental. L'éclosion
symbolique de cette boule d'argile contenant le
Soleil naissant induit la diffusion de ces raies
de lumière teintant de rouge le ciel et la terre,
nous disent les textes. Elle crée cette lumière
crépusculaire au sein de laquelle le disque
solaire semble à présent "nager".
Le terme
"éclosion" évoque d'ailleurs l'image
de cet oeuf dont le Soleil brise la coque, au
moment précis de son apparition. Il apparaît
alors reposer sur sa "butte de
naissance", soulignent les textes.
La butte primordiale
Cette dernière expression n'est pas sans rappeler
la butte primordiale au sommet de laquelle le dieu
Soleil dut se hisser, au premier jour de la création
du monde, ce premier élément organisé faisant
son apparition à la surface d'un formidable réservoir
d'énergie créatrice, le Noun. Comme au premier
jour, le disque solaire apparaît chaque matin
reposer sur un tertre, une butte émergeant à
peine des eaux qu'il créa de lui-même (20) -
sans doute cette lumière teintant de rouge
l'horizon oriental.
Telle
une coquille d'oeuf, sa boule d'argile désormais
éclose symbolise la butte sur laquelle le Soleil
s'appuie pour naître au petit matin, cet ilôt de
terre que certains Textes des Pyramides situent
dans l'entrecuisse de Nout, lieu de naissance par
excellence du Soleil : "Entre les cuisses de
la déesse Nout se trouve un ilôt de terre vers
lequel le défunt justifié doit nager".
L'image de
cette butte primordiale émergeant d'un océan d'énergie
inerte, de ces eaux du Noun, semble provenir de la
vision, chaque année renouvelée, de l'émergence
de quelques tertres à la surface du Nil en crue.
Sur ces tertres furent symboliquement érigés les
monuments sacrés qui, aujourd'hui encore, font la
splendeur de l'Egypte. Ces édifices que sont
pyramides, obélisques et temples constituent en
quelque sorte le témoignage vivant de ce qui fut
créé, organisé, structuré, à partir du non-être,
à partir de cet océan d'énergie informe et
inerte qu'est le Noun.
Maintenant que le dieu Soleil s'est hissé sur sa "butte de
naissance", qu'il baigne dans le rougeoiement
du ciel matinal et qu'il assume la forme du disque
solaire, le rôle du scarabée Khépri s'achève.
C'est désormais en son nom de Rê que le dieu
Soleil traversera le ciel d'est en ouest, toute la
journée durant. Il figurera alors sous les traits
d'un homme à tête de faucon. C'est d'ailleurs
muni des ailes d'un faucon que le disque solaire
apparaît, à proximité de la bouche de la déesse
Nout... une imagerie qui semble faire écho à ce
scarabée ailé, soit Khépri, figuré le long des
jambes de la déesse du ciel. D'où l'idée que la
course diurne du Soleil s'apparente à celle d'un
faucon parcourant les étendues célestes... cet
espace situé entre le Ciel et la Terre, cet
espace que le dieu Chou emplit de vie : "Il
est la Vie qui est en-dessous de Nout", précise
l'un des Textes des Sarcophages en parlant de
Chou. Lorsque le Soleil apparaît à
proximité de la bouche de Nout, soit à l'entrée
de la Douat, c'est que son cycle diurne est achevé,
ou plutôt complété. Telle est la signification
en effet que revêt le terme Atoum, associé au
Soleil mourant. En lui attribuant l'appellation même
du dieu créateur, les anciens Egyptiens ont
souhaité souligner l'espoir de renouveau qu'il
porte en lui. Car sa mort bientôt se
transformerait en vie à nouveau, sitôt que le
Soleil, en son nom de Rê, aura émergé des eaux
du Noun et de la Douat qu'il pénètre chaque
soir, tout comme il pénètre le corps de la déesse
du Ciel, Nout.
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