L'ILE DE PHILAE
Le
temple d’Isis fait partie d’un complexe architectural plus connu sous le
nom de temple de Philae, nom de l’île sur laquelle il fut construit. Ce
temple est dédié à la mère universelle et épouse aimante, la déesse Isis
que les anciens Egyptiens surnommaient « la grande dame de Philae
».
Les
monuments du complexe furent édifiés depuis le 4ème siècle avant J.C.
jusqu’au 2ème siècle après J.C. Nectanebo I, fondateur de la XXXème
dynastie, commença par construire un sanctuaire (l’Iseum), détruit en
partie par les inondations de la crue du Nil et sur lequel Ptolémée
Philadelphe érigea le temple au 3ème siècle av. J.C. Une grande partie de
sa construction et de sa décoration fut réalisée par la suite sous le
règne de l’empereur romain Auguste. Ce temple est considéré à l’heure
actuelle comme étant le fleuron de l’architecture ptolémaïque et romaine.
L’île de
Philae se trouvait à environ 7 Km de la ville d’Assouan, en amont de la
première cataracte du Nil entre le barrage d’Assouan et le haut barrage ;
elle avait une superficie de 6ha. L’édifice avec ses colonnes peintes de
magnifiques couleurs, s’élevait dans le passé sur de hauts rochers de
granit entourés de dattiers, de palmiers et de mimosas.
A l’ouest
de Philae dans une petite île appelée Bigeh, il existait un autre lieu
sacré, nommé Abaton, entouré de bois que seuls les prêtres visitaient, une
partie du dieu Osiris y étant enterrée.
L’île de Philae fut donc choisie comme « île sainte »
pour rassembler les deux époux Isis et Osiris. Philae constitua alors un
haut lieu de pèlerinage et de cérémonies surtout après le déclin d’Abydos.
Le culte d’Isis se répandit non seulement dans toute l’Egypte mais aussi
chez les Grecs, les Romains, en Ethiopie, il y eut même une statue d’Isis
à Paris dans l’église Saint Germain des Près, qui ne fut détruite qu’au
18ème siècle.
L’île
résista longtemps au christianisme et continua à recevoir les pèlerins
païens jusqu’à la deuxième moitié du 5ème siècle de notre ère.
Au
6ème siècle, un roi chrétien de l’Ethiopie nommé Silcus envahit la basse
Nubie, le portique du grand temple devint une chapelle. Plus tard une
basilique fut construite, puis une mosquée lorsque l’île fut convertie à
l’islam.
Après la construction du premier barrage d’Assouan, l’eau
du Nil ne laissait de répit aux visiteurs de ce petit paradis que deux
mois par an en août et septembre lorsque les réservoirs étaient vides, le
reste de l’année, l’île était submergée par l’eau. Après la
construction du haut barrage, Philae « la perle de l’Egypte » allait
définitivement disparaître sous les eaux du lac Nasser. Il a fallu donc
découper les monuments et les déplacer ailleurs pour les sauver.
De 1968 à 1984,
l’UNESCO a entreprit le sauvetage des monuments de Philae (avec le
concours de C. Desroches-Noblecourt) et les a transférés sur l’île
d’Agilkia, 300m au nord. Les travaux qui ont aplani et agrandi l’île, lui
ont donné la forme d’une oiselle dont le bec est dirigé vers la Nubie pour
ressembler exactement à sa sœur Philae. Le site a été inauguré le 10 mars
1980. C’est un grand complexe composé de plusieurs monuments dont les
plus importants sont : le pavillon de Nectanebo I, le grand temple d’Isis
et ses annexes, le kiosque de Trajan et le petit temple de Hathor. Les
murs et les colonnes de ces temples nous dévoilent jusqu’à nos jours
l’histoire d’amour qui inspira plusieurs poètes, l’histoire d’Isis et
d’Osiris.
Au milieu
des eaux du Nil s’élève le plus fameux des sanctuaires d’Isis.
Femme, épouse, mère, magicienne, salvatrice, la déesse se trouve au
centre du grand mystère de la vie et de la mort qui aboutit à la résurrection.
Pour reformer le corps de son époux assassiné, qu’elle entoura de
bandelettes, elle confectionna la première momie. Le culte qu’on vouait
à cette déesse-mère était associé au retour de la crue fertilisante
qui faisait revivre la terre d’Égypte… Christiane
Desroches-Noblecourt, fait revivre pour nous Philae, île sainte au
charme unique et éternel, qu’elle a réussi à sauver des eaux.
Abandonnée
depuis la fin des Ramessides (vers l’an 1000 avant notre ère), la Nubie
connut un renouveau d’intérêt à l’époque gréco-romaine. Les
nouveaux maîtres macédoniens (vers la fin du IVe siècle av. notre
ère) puis romains (à partir de 24 ap. J.-C.) firent ériger de
majestueux temples sur l’emplacement des anciens sanctuaires. Les plans
antiques respectés dans leurs grandes lignes furent légèrement remaniés
au goût du jour ; l’esthétique de ce temps se reconnaît spécialement
dans le rendu des formes humaines et la surcharge des chapiteaux floraux.
C’est aussi la période des grandes fondations religieuses :
Dendera, Edfou, Esneh, Philae, pour ne citer que les plus connues.
On est
accoutumé à reconnaître en Philae la place sainte la plus méridionale
de l’Égypte métropolitaine ; il faut, me semble-t-il, plutôt y
voir le lieu de culte pharaonique le plus septentrional de Basse-Nubie. En
effet, les Romains, soucieux de protéger les possessions de l’empire,
s’introduisirent à leur tour au-delà de la première cataracte, dans
des régions que des incursions barbares pouvaient infiltrer ; il
fallait préserver l’accès aux mines d’or du ouadi Allaki, face à
l’ancien temple de Thoutmosis III, réédifié à Dakka sous Ptolémée
VII Evergète II (à l’époque, cet antique site de Baki avait pris le
nom de Pselkis) ; aussi est-ce dans le secteur, près de la chapelle
de Maharraka, qu’il faut situer les limites fixes du dispositif
militaire romain, à cent vingt kilomètres au sud de la première
cataracte. Plusieurs édifices religieux du moment en témoignent :
au nord de Maharraka et de Dakka, ceux de Dendour, de Debot, les chapelles
de Taffeh et le kiosque de Kertassi près des carrières qui avaient
fourni la pierre de grès pour les constructions de Philae. Le plus célèbre
d’entre eux était le temple de Kalabsha, lieu de vénération pour
Mandoulis, forme nubienne d’Horus.
Cependant
rien n’égalait en importance et en suprême majesté l’ensemble
architectural implanté plus au nord sur la petite île appelée de nos
jours Philae. Au cœur d’un chapelet d’îlots granitiques au sud de
l’ancien barrage, le lieu sacré s’appelait à l’époque Pi-Rek, ce
qui signifie 1’« extrémité » : il s’agit en fait de
l’extrémité méridionale de la Basse-Nubie, où les pèlerins venaient
adorer leur déesse.
Durant les
derniers siècles de son étonnante vitalité, l’Égypte pharaonique
s’affaiblit et se transforma au contact des invasions successives
auxquelles il lui fut impossible d’échapper. Progressivement, la foi
profonde du « plus religieux de tous les peuples » (Hérodote)
s’était cristallisée dans le mythe le plus accessible à
l’entendement populaire, donnant une signification cohérente au grand
mystère de la vie et de la mort. Ainsi, de toutes les cosmogonies les
plus élaborées, celle qui avait pour pivot le mythe osirien prévalut.
Cet espoir d’accéder à l’éternité, à la perpétuité des générations,
au triomphe du bien sur le mal garant de l’équilibre cosmique, se matérialisa
par Isis, la forme la plus maternelle de la féminité, magicienne et
salvatrice à la fois, sans qui le monde ne peut survivre. Auparavant, très
rares furent les édifices cultuels qui lui avaient été consacrés.
Voici que
maintenant elle surpasse en importance toutes les autres formes divines ;
sa qualité d’épouse fidèle vigilante et de mère protectrice estompe
le rôle quasi primordial d’amante propre à maintenir l’éros de la nécessaire
procréation. Le grand temple de Philae est consacré à l’universelle
Isis, réveil du mort et mère de l’héritier. Autour du sanctuaire
surgissent d’autres constructions religieuses, compléments essentiels
d’un culte reposant sur la dévotion à cette déesse, source de toute félicité.
Les monuments ainsi rassemblés sur l’île expriment toute une théologie
et constituent une synthèse de la « machinerie » divine où
l’on retrouve les vestiges d’un enseignement millénaire. Le noyau
auquel se rattache le mythe est résumé dans la légende osirienne connue
dès l’époque des Textes des pyramides (fin de la Ve dynastie).
Bien plus tard, Plutarque réunit les épisodes très enrichis du grand
mystère initial qu’il ne fallait pas dévoiler. En voici les lignes
essentielles.
Le Démiurge,
hermaphrodite par essence, exprima et différencia les deux sexes qu’il
totalisait en lui, en créant la lumière, Shou, et l’air, Tefnet. À
leur tour, ces derniers firent apparaître le Ciel, Nout, et la terre, Geb,
qui mirent au monde Osiris, Isis, Seth et Nephtys appelés à connaître
les vicissitudes d’ici-bas. Le règne d’Osiris, incarnation du Bien,
aurait pu se dérouler dans la plus parfaite harmonie sans les attaques répétées
de son frère Seth, – la Perturbation nécessaire – qui finit par
mettre à mort Osiris en découpant son corps en seize morceaux jetés
ensuite dans le Nil. Isis, la veuve éplorée d’Osiris, transformée
momentanément en oiselle, survola le fleuve, repéra les fragments épars
de son époux et les enterra successivement près du lieu de leur découverte.
Pour désorienter son ennemi, en chaque lieu, elle reconstitua facticement
le corps en sa totalité et le déposa dans un sarcophage. La jambe gauche
fut inhumée dans l’île de Bigeh et c’est là qu’aux derniers temps
de l’histoire pharaonique, on reconnut la vraie sépulture du Dieu près
duquel un acacia – ou un tamaris – se mit à pousser.
L’essentiel
de la légende tient dans ce qu’Osiris, qui enseigna aux hommes l’art
de vivre, l’agriculture et qui, en compagnie de son épouse Isis,
symbolisait le ménage idéal, n’avait pas laissé d’héritier. Il
fallait donc que le Dieu fait homme survécût à son trépas pour assurer
la continuité de la vie. Voilà pourquoi Isis la magicienne, avec
l’aide de sa sœur Nephtys et en présence d’Anubis, façonna, avec
les éléments rassemblés du corps martyrisé, la première momie. Or le
membre viril avait été englouti dans le Nil par le poisson oxyrrhynque.
Isis, la magicienne, se transforma à nouveau en oiselle et descendit
doucement sur le corps d’Osiris, lui restituant pour quelques instants
son pouvoir de procréer, et se fit féconder. Osiris devint alors, dans
le monde souterrain, le Juge des trépassés, cependant qu’Isis,
enceinte du futur héritier ainsi conçu, consacra tous ses soins à protéger
sa gestation des manœuvres du Malin, pour mettre au monde Horus –
l’enfant qui, en dépit des violentes contestations de Seth, régna sur
les vivants à la place de son père.
Toute cette
trame, qui donne en réalité un sens à l’existence, est traduite par
les divers bâtiments du sanctuaire. Le plus important des îlots
entourant le domaine d’Isis est Bigeh, séparé de Philae par un étroit
chenal à l’ouest. Douze fois plus grand que Philae, il accueillit le
tombeau réel d’Osiris. Du point culminant de lou-Ouab, « l’île
sainte », où nul profane ne devait pénétrer, on apercevait le
contour du domaine d’Isis : sa forme évoque d’une façon
surprenante l’oiselle prête à se poser sur le corps d’Osiris (Bigeh).
Au reste, le rapport entre les deux sanctuaires restait très étroit.
Tous les jours, les prêtres allaient verser des libations sur les 365
tables d’offrandes qui entouraient le tombeau du dieu sacrifié et, tous
les dix jours, Isis traversait le bras du fleuve, porteuse d’une
offrande de lait.
Les
derniers Ptolémées – dont le treizième, père de la grande Cléopâtre
– ont achevé le premier pylône aux reliefs représentant Isis et
Hathor, la séductrice, assistant le jeune Horus. La façade du temple est
orientée vers le sud : la Nubie. Une double colonnade – concept très
hellénistique – remplace le dromos classique bordé de sphinx et
conduit à l’embarcadère. Dans la première cour, le péristyle
oriental introduit aux petites pièces de la bibliothèque ; un gros
rocher de granit, à la base de la tour orientale du second pylône, porte
une inscription relative au don de Ptolémée VI Philométor à la déesse :
le Dodecaschène, la région des douze Schènes, long chacun d’une
dizaine de kilomètres.
Ce
territoire s’arrêtait dans la zone du ouadi Allaki, le ouadi de l’or.
À l’ouest de cette cour, on admire le flanc du mamisi ou maison
de la naissance du jeune dieu ; les colonnes engagées sont couronnées
par des chapiteaux historiques. La grande salle hypostyle, dont le centre
restait à ciel ouvert, est ornée de reliefs évoquant l’éternel
dialogue du roi avec les diverses formes de la divinité. Depuis la
construction du premier barrage d’Assouan, une longue submersion dans le
Nil, chaque année, a privé les édifices des couleurs pastel qui revêtaient
tout l’abondant décor. Mais les sculptures subsistent, par endroits
entaillées de motifs architectoniques et de croix des premiers chrétiens,
au moment où le temple fut transformé en une immense église. Les
graffitis des pèlerins remontant à l’époque romaine sont gravés sur
les pylônes, et ces murs vénérables gardent le souvenir des savants de
l’expédition de Bonaparte en Égypte et des soldats du général Desaix
(an VII de la République).
Les salles
du fond du temple – les premières construites – portent les reliefs
les plus harmonieux, datant des Nèctanébo de la XXXe dynastie.
Lorsque l’on peut accéder aux terrasses, on découvre deux petites
salles réservées au mystère de la résurrection osirienne, dominant à
l’ouest du temple le bord de l’île où des salles basses étaient
consacrées aux rites chthoniens. Au IIe siècle de notre ère
l’empereur Hadrien, dont on connaît l’intérêt pour les croyances égyptiennes,
fit ériger à proximité un passage couvert, toujours connu sous le nom
de porte d’Hadrien : il s’agit d’un des lieux les plus précieux
pour comprendre la géographie religieuse du site. Par ordre du Romain, un
décret en hiéroglyphes fut gravé sur le mur nord. Se fondant sur
l’ensemble des pratiques célébrées alentour, il rappelle que toute la
« Butte sainte » (Bigeh) est réservée au dieu mort : le
deuil y est de rigueur, ni chant, ni musique ne peuvent s’y faire
entendre, ni pêche ni chasse n’y sont tolérées ; personne ne
devra y élever la voix. Cette région occidentale touche également la
rive gauche de Philae où avaient été édifiés les locaux du culte
osirien.
En
revanche, le flanc oriental du grand temple est en partie occupé par des
monuments dont l’implantation et les messages inscrits enseignent que
l’on y célébrait le bonheur retrouvé et l’allégresse. Le somptueux
kiosque de Trajan et le petit temple poétique d’Hathor le démontrent :
reliefs et inscriptions expliquent la raison des musiques, des danses, en
un mot de la joie pour un événement attendu toute l’année : la réconciliation
de la déesse avec son père le Démiurge. Une autre légende vieille de
plusieurs millénaires rejoignait ainsi un des aspects du cycle osirien.
Cette déesse, la Lointaine, s’était échappée du bercail pour
s’enfuir en Nubie où elle devint une véritable carnassière africaine.
Rien, pendant toute une année, alors que le monde entier se desséchait,
ne put la contraindre à regagner le palais paternel si ce n’est, en fin
de compte, l’astucieuse diplomatie de Thot, l’incarnation du temps, de
la connaissance, de la science et de la précision du calendrier. La
Lointaine, charmée par les histoires de Thot, accepta de le suivre. Elle
personnifie l’inondation revenant impétueusement du sud, au début de
l’année, pour le bonheur et la prospérité du pays.
La vague
annonciatrice du renouveau était déjà fêtée en Abou Simbel sous Ramsès
II, là où elle venait de franchir la seconde cataracte, au jour de
l’an provoqué par la réapparition de l’étoile Sothis. Parallèlement
le roi, investi d’une jouvence retrouvée, incarnait le nouveau soleil,
tel Horus sorti des ténèbres où résidait désormais son géniteur. À
l’approche de la première cataracte, Philae devint ainsi, à la fin de
l’époque pharaonique, le lieu où l’on fêtait en grande pompe le
retour de l’inondation. Sur une barque sacrée descendant le fleuve, la
déesse était attendue ; le pontife et son collège célébraient
son arrivée sur le quai du Grand Kiosque conçu pour la recevoir. À
proximité, le petit sanctuaire d’Hathor, (également confondue avec la
« Lointaine »), porte encore sur ses murs l’image des
joueurs de tambourin, de harpe et de double hautbois qui rythmaient les
danses des gracieuses ballerines sacrées.
Afin de préparer
cet événement essentiel pour l’Égypte, des cérémonies préparatoires
se succédaient tout au long de l’année. Dans le mamisi, à
l’ouest de la première cour, Isis séjournait pendant le temps de sa
gestation divine. Au fond du sanctuaire demeure encore son image tenant
dans ses bras Horpa-Khered, Harpocrate ou Horus enfant, qu’elle vient de
mettre au monde ; cela préfigure l’image de la « Vierge à
l’enfant ». La naissance miraculeuse coïncidait avec le
renouvellement de Pharaon sur son trône et l’arrivée de l’inondation
rappelant les rites célébrés en Abou Simbel plus de mille ans
auparavant. Abou Simbel était alors abandonné, et les généraux de Psamétique
II en route vers le Soudan laissèrent des traces de leur propre passage
en faisant graver, irrespectueusement, sur la jambe d’un colosse de la
façade, le récit de leur expédition avec leur nom : Amasis, chef
des troupes égyptiennes, Potasimto, commandant la Légion étrangère…
Philae regroupait les mythes, les croyances et les fêtes essentielles du
pays.
Lorsque la
Nubie devint chrétienne, après l’édit de Milan (313), et surtout
lorsque Théodose fit du christianisme la religion de son empire (380),
les Nobades, zélateurs du nouveau culte, devinrent alors les fidèles de
l’évêque de Philae. Le temple, transformé en cathédrale, fut alors
à l’origine de la christianisation des autres temples du Dodecaschène.
Quant aux derniers adorateurs d’Isis, les Blemmiyes, après des luttes
parfois sanglantes, ils reçurent le droit de venir y chercher chaque année
la barque sacrée de leur déesse bien-aimée. L’ultime inscription hiéroglyphique
connue date du 24 août 394 de notre ère ; elle émane du deuxième
prophète d’Isis, Akhom, et se trouve justement à Philae où elle
rappelle ces derniers païens fidèles à la Mère divine. Toute trace
avait disparu vers 500 quand Justinien, implacable défenseur de
l’orthodoxie, fit fermer les portes du temple.
Pour son
charme unique, son message exceptionnel, les mythes qu’elle incarne,
l’expression d’une foi dont elle reste imprégnée, Philae, la
« perle de l’Égypte », ne pouvait disparaître. Toutes les
constructions portées par son sol granitique étaient dégagées des eaux
boueuses qui s’étendaient entre l’ancien et le nouveau barrage.
Assise par assise, pierre par pierre, elles ont été « déménagées »
douze mètres plus haut, sur un autre îlot de granit Aguilkia, bordé sur
son côté occidental par un autre seuil granitique, Saliba, évoquant
Bigeh où se trouvait le tombeau mythique d’Osiris. Temples, portiques
et chapelles furent réédifiés. Cet ensemble de 40 000 blocs de grès
a reçu la même orientation. Après un long plaidoyer, j’ai pu obtenir
que les contours d’Aguilkia reprennent la forme de l’oiselle ; le
jardin de la déesse a aussi été replanté. L’inauguration sur le
nouveau site se fit le 10 mars 1980.
Ceux qui
viennent rêver sur l’île sainte peuvent contempler, sur le mur méridional
de la porte d’Hadrien, un résumé du cycle osirien. À travers
l’ouverture qui donne sur le Nil, ils imaginent aussi la nacelle d’Isis
porteuse de lait, garante de la Vie renouvelée. Cette barque descendit le
long du fleuve jusqu’à Alexandrie où, tenant une ancre marine, parfois
échangée avec une voile gonflée par le vent, elle devint Isis Pharia,
patronne des navigateurs, vénérée à côté d’Isis-Lactans, la Vierge
allaitant. Les soldats la ramenèrent en Europe par des itinéraires
inattendus ; un jour, les nautes de Lutèce en firent leur patronne,
toujours aussi bienveillante, et sa présence, assise à la proue de la
nef surmontée par l’étoile Sothis, figurait encore au siècle dernier
sur les armes de la ville de Paris.
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