RITES  DE L’AU-DELA

 

     

 

Les Egyptiens ont de la mort une conception très différente de la nôtre. Pour eux, il existe deux sortes de trépas. D'abord la mort biologique, qui n'est qu'une phase dans un cycle sans cesse réitéré de naissance, croissance, déliquescence et renaissance. Cette mort-là, ils savent bien qu'ils ne peuvent pas l'éviter, elle est même souhaitable, puisque dans l'ordre des choses. Le grand danger, c'est la seconde mort, l'anéantissement total, le retour au non-être dont est issue la création, au désordre lié aux forces du chaos. c'est elle qu'il faut absolument combattre moyennant tout un rituel funéraire qui permet au défunt de rejoindre le monde imaginaire où les dieux assurent la conservation de l'Univers. Assimilés à des entités malfaisantes, les criminels n'avaient pas droit à ces rituels. Leur corps détruit, leur nom effacé, ils étaient condamnés à voir tous les éléments de leur être physique et spirituel dispersés. Voués à une mort définitive.

L'ouverture de la bouche

L'officiant récite des paroles magiques tout en touchant la bouche, les yeux, le nez et les oreilles du défunt. Il lui restitue ainsi l'usage de ses sens. Ce faisant, il reproduit les gestes du sculpteur lorsqu'il donne symboliquement vie aux statues des divinités. c'est pourquoi il utilise des outils d'artisan, particulièrement le « sétep », sorte d'herminette en forme de crochet. La tradition de l'ouverture de la bouche est très ancienne. l'usage voulait que ce soit le fils aîné du roi qui procède à ce rite ou à défaut, son successeur, qui procède à l'office. Le pharaon est représenté sous la forme d'une momie osirienne, en blanc, couleur des bandelettes, donc de la mort. Il porte le sceptre caractéristique de la divinité : le flagellum, sorte de chasse-mouche ou de fléau, qui fait partie des insignes de la royauté remis par les dieux à l'héritier légitime d'Egypte au moment de son intronisation.

 

 

Les lamentations

Amies du défunt, ou professionnelles engagées pour l'occasion, les pleureuses, figures indispensables à toute cérémonie funéraire, portent les cheveux défaits et lèvent les bras vers le ciel en se lamentant et en chantant les louanges du mort. Au-dessus de cette peinture, un des sommets de l'art égyptien, la légende raconte : « Les hommes de son domaine disent que le grand gardien est parti. » Ce rite, qui n'est pourtant pas prescrit par la religion musulmane, a survécu en Egypte : aujourd'hui encore, certaines familles paient des pleureuses pour accompagner leurs morts avec les mêmes gestes que leurs lointaines ancêtres.

 

 

L'offrande de l'eau sacrée

Les rituels qui entourent le défunt sont accomplis par une classe particulière de prêtres, baptisés prêtres-sem. On les reconnaît à la peau de léopard qui les couvre un symbole de dignité et à leur coiffure tressée. Ici le prêtre-sem élève au-dessus du mort un bassin d'eaux lustrales destinées aux libations et autres rites de purification. Ces eaux sont souvent puisées dans des lacs artificiels aménagés à l'intérieur des temples. Remplis par la nappe phréatique, ils rappellent symboliquement l'élément liquide et informe qui préexistait à la création de l'Univers.

Les quatres survies

Les anciens Egyptiens croyaient en quatre types de survie. Le premier, très peu explicite, est une sorte de survie au sein de la mère. Il apparaît notamment sur les sarcophages où figure Nout, déesse représentant le ciel, dont le corps arqué au-dessus du monde est accompagné d'un texte disant : « Ta mère est au-dessus de toi ». Cette idée, qui rappelle un archétype de l'inconscient, le retour au foetus, n'est pas très développée, mais tout de même prégnante dans la pensée égyptienne.

Si le mort a été accompagné de rites efficaces, il peut aussi espérer disposer de son ba. Ba a souvent été traduit par le mot « âme », ce qui repose sur une confusion. Il s'agit en fait de la capacité de se manifester et, en même temps, des manifestations concrètes de cette capacité. Ainsi, un dieu, dont l'essence est inaccessible aux humains, peut se manifester à travers une statue. La statue devient alors son ba. En général, le ba du mort est un petit oiseau qui émane de la momie, remonte le long du puits funéraire pour aller voleter dans la tombe et jouir du monde idéal que les peintres y ont représenté. La troisième forme de survie est la survie souterraine, avec Osiris.

Une fois l'épreuve de la pesée de l'âme réussie, le défunt vit aux côtés du dieu dans un royaume qui est la transfiguration d'un monde campagnard, une nature merveilleuse où les épis de blé atteignent plusieurs mètres de haut, où il pêche et chasse des milliers de poissons et d'oiseaux. La dernière forme de survie, enfin, est solaire : la mort n'est pas définitive, elle est la phase d'un cycle semblable à celui du soleil lorsqu'il se couche. Le défunt s'identifie donc à l'astre, traverse dans sa barque le monde souterrain pour renaître au jour. Ces quatre formes de survie ne sont pas exclusives les unes des autres, elles se recoupent et se mêlent. l'une des grandes évolutions de la pensée religieuse égyptienne est d'ailleurs qu'elle finira par réaliser la synthèse entre survie osirienne et survie solaire. Sur les fresques des tombes du Nouvel Empire, durant la nuit, c'est le monde d'Osiris que traverse la barque solaire.

 

 

 Les moissons du ciel

Les scènes agricoles qui figurent dans de nombreuses tombes ont souvent été interprétées de façon très réaliste, comme des images de la campagne égyptienne. En réalité, elles figurent une nature idéalisée, une des représentations du paradis où les défunts viennent revivre après leur mort. Cette splendide tombe de Deir-el-Medinah, dans la vallée des Nobles, est un bel exemple de sépulture familiale.

Au-dessus de deux registres représentant la nature nilotique, avec ses palmeraies et ses fleurs, le défunt, Senedjem, et sa femme labourent et moissonnent les champs de l'au-delà où les épis de blé sont immenses. Dans la bande supérieure, une étrange représentation montre le dieu soleil Rê, portant la tête de faucon d'Horus, seigneur du ciel : assis sur la barque solaire, il est encadré de deux singes, les bras levés en signe d'adoration. Les Egyptiens avaient remarqué que certains cynocéphales adoptaient cette attitude au lever du soleil et en avaient conclu qu'ils rendaient hommage à l'astre du jour. A la base de l'obélisque de Louxor, qui trône aujourd'hui place de la Concorde à Paris, se trouvaient de tels cynocéphales. Mais comme ils étaient dotés d'attributs très avantageux, ils furent jugés obscènes et disparurent comme par enchantement. On peut aujourd'hui les admirer dans l'une des galeries du Louvre.

 


La barque du soleil

Dans le monde égyptien, la barque était le moyen de transport par excellence : son image a tout naturellement été transposée dans l'univers mythologique. c'est ainsi que le soleil est souvent représenté accomplissant son périple journalier à bord de deux embarcations : l'une pour le jour (mândjèt), l'autre pour la nuit (mesketèt). Sur la partie supérieure de cette peinture, les divinités représentées sous forme d'ombres, dans des sarcophages sont des génies funéraires.

Au-dessus de leur tête est tracé un petit drapeau qui signifie nepjer, « divinité ». Dessous, sur la barque solaire, se trouve le soleil figuré avec une tête de bélier. Les deux hommes à l'avant et à l'arrière l'assistent. Car le soleil a parfois besoin d'aide : s'il se régénère dans l'au-delà durant son voyage nocturne, au cours de la journée, il vieillit.Selon la phase du cycle où il se trouve, il revêt du reste des aspects différents. Le matin, enfant, il est figuré sous la forme de Khéper, le scarabée, car Khéper signifie « devenir ». A midi, adulte, il est Rê ou Rê-Hor-Akhty, c'est-à-dire Horus de l'horizon, représenté par un homme à tête de faucon. Horus, l'une des divinités principales du panthéon égyptien, se manifestait ainsi à travers un grand nombre de dieux. Le soleil à tête de bélier est une figure plus complexe. Elle peut représenter une entité qui réunit le ba de Rê à celui d'Osiris. Appelée les « Chairs du Dieu », elle est souvent le personnage central de la course nocturne du soleil. Le bélier, dont l'image sert aussi à écrire le mot « ba », est alors lié à l'idée de transformation, de renouvellement. Mais il peut aussi figurer le soleil qui, en se couchant, devient Atoum : le passage du démiurge dans l'au-delà est en effet comparé à l'état de léthargie où il se trouvait avant qu'il ne crée le monde.

 

 

LE VOYAGE SOUTERRAIN

Creusés sur les rives d'un oued du plateau libyque, à l'ouest de Thèbes, les hypogées des Vallée des Rois et des Reines sont généralement composés d'une longue suite de corridors s'enfonçant en pente douce dans la falaise. Ces corridors ouvrent sur une ou plusieurs salles à piliers, pour aboutir enfin à la vaste chambre funéraire. Sur ce parcours souterrain se trouvent aussi parfois un ou plusieurs puits funéraires.

Ils sont peut-être une évocation des cavernes de Sokar, très ancienne divinité chtonienne, protecteur des morts. Peut-être ont-ils aussi un rôle pratique, protégeant la chambre funéraire des profanations et des inondations. Entrer dans ces hypogées tient du parcours symbolique. Ils invitent à une longue traversée souterraine en même temps qu'à un périple dans l'au-delà. Leur agencement, ces couloirs ponctués de salles comme autant d'étapes, matérialise le parcours accompli par Pharaon après la mort, surmontant épreuve après épreuve pour atteindre le royaume d'Osiris symbolisé par la salle du sarcophage, et renaître tel Rê le soleil. Sur les parois, de grandes scènes des anthologies religieuses donnent au fur et à mesure clés et formules magiques pour affronter les dangers et les mauvais génies.

Chaque pharaon a son programme décoratif propre, résultat de spéculations fondées sur les compositions existantes, et sans doute aussi d'un désir d'originalité. Selon les moyens et surtout le temps dont il a disposé avant sa mort (la construction des tombes débute en général dès l'intronisation du nouveau roi), ces décors sont plus ou moins élaborés. Certains se limitent à un seul livre religieux, d'autres présentent des synthèses très élaborées de cinq ou six compositions différentes. Cest le cas de la sépulture de Ramsès VI (XXe dynastie, 1144-1136 av. J.-C.), présentée ci-dessous. Une sépulture qu'il a réutilisée, pour des raisons qui restent encore mystérieuses, puisque à l'origine elle avait été construite pour son frère Ramsès.

 



Le livre de l'Am-Douat

Parmi les guides de l'au-delà, le Livre de l'Am-douat est la composition la plus maîtrisée. Au départ, il s'agit d'un texte secret, réservé à Pharaon à qui il confère des pouvoirs particuliers. Cet aspect occulte est particulièrement lisible dans la tombe de Thoutmosis III où il est représenté pour la première fois.

Dans cette sépulture, il est encore disposé à la manière d'un papyrus : les parois sont entièrement peintes en jaune, et les inscriptions cursives. Il ne deviendra un décor classique, à l'image du Livre des morts, que dans des tombes plus tardives, telle celle de Ramsès IX. Comme les autres guides, celui de l'Am-Douat dresse une carte du dangereux voyage accompli par la barque solaire qui transporte le défunt durant la nuit. La composition est traversée par un fleuve, en forme de zigzag.

En haut, sous les textes du livre secret, le serpent aux ailes déployées figure Maât, qui incarne l'ordre cosmique, suivie d'Anubis, préposé à l'embaumement. Les autres serpents, le plus souvent des génies du mal, sont surmontés des formules magiques qui permettent de les anéantir. Dans la bande du milieu, sur la barque, se trouvent Rê et Horus, les deux entités solaires. Ils sont précédés de génies qui les assistent en tirant l'embarcation. De l'autre côté du fleuve, figurent le pharaon Thoutmosis, en Osiris momifié, puis Thot et Horus portant l'oeil de Rê. Et tout à gauche, le cartouche contenant le nom du pharaon. Cest à partir de Thoutmosis III que ce cartouche devient synonyme de protection magique et commence à se répandre. Dans la troisième bande, enfin, figure Seth, le dieu à tête de chien, assis sur son siège : divinité double, à la fois maléfique (cest lui qui assassine son frère Osiris) et bienfaisant, il aide ici le soleil à défier le mal.

 



Le Livre des cavernes

Parmi les multiples variations sur le voyage nocturne du soleil, cette composition le situe dans un au-delà obscur, en forme de caverne. Apparu pour la première fois dans le temple de Séti 1er, à Abydos, elle entre ensuite dans le programme décoratif des tombes de la Vallée des Rois. Ce chef-d'oeuvre, qui figure dans la chambre funéraire de la reine et régente Taousert (XIXe dynastie), illustre les différentes métamorphoses du soleil. En haut, il apparaît à l'aube : le dieu est peint sous la forme d'un jeune enfant, surmontant un scarabée, qui signifie « devenir », lui-même disposé au-dessus d'un disque solaire, image de l'astre dans sa plénitude. La grande figure centrale est composite : des ailes de vautour ou de faucon à la vaste envergure et une tête de bélier qui représente le soleil vieillissant. Une façon de dire que l'astre rayonne sur le monde entier. Le ba de la « pharaonne », figuré sous la forme d'un oiseau, est représenté en de multiples exemplaires pour montrer sa puissance et son énergie.

Le livre de la vache du ciel

Cette composition n'a, au départ, aucun rapport avec les pratiques funéraires. Mais elle fait partie de ces textes secrets auxquels les Egyptiens attribuent des pouvoirs justement parce qu'ils sont ésotériques. Des textes qu'ils prennent peu à peu l'habitude d'emporter dans leur tombe comme une garantie supplémentaire contre le mal. Le mythe du Livre de la vache du ciel débute par une révolte des hommes contre Rê. Le dieu, furieux, délègue sur Terre Hathor, sous l'aspect d'une lionne, afin de détruire l'Humanité. Pourtant, elle se montre si féroce qu'il s'en effraie lui-même. Il imagine donc un stratagème et envoie à la déesse de la bière teintée de rouge. Croyant boire du sang, elle s'enivre. l'Egypte est sauvée de la destruction. Mais Rê, dégoûté de la compagnie des hommes, décide de quitter la Terre. Il monte sur le dos de Nout, déesse du ciel, qui prend l'aspect d'une vache. Sur cette peinture, qui figure dans la tombe de Séti 1er, on voit Nout, au ventre constellé, soutenue par le dieu Shou, les bras levés. Dans la cosmogonie d'Héliopolis, Shou est le fils de Rê et le père de Nout. Mais lorsque Nout vient au monde, cest étroitement enlacée à son frère Geb, la terre. Rê s'en offusque et demande à Shou de les séparer. Cest pourquoi il représente l'air. Autour de lui, de nombreux génies soutiennent les pattes de Nout : ils incarnent l'entité qui maintient le firmament en équilibre au-dessus de la Terre.